Les primes d’assurance des voitures électriques grimpent, et cela surprend souvent les nouveaux acquéreurs. Entre discours politiques favorables à la transition énergétique et réalité du marché, un décalage s’installe : pourquoi assurer une voiture réputée plus sûre et plus économique coûterait-il parfois plus cher qu’un modèle thermique ? La hausse des tarifs n’est pas un hasard, elle révèle surtout la manière dont les assureurs perçoivent – et chiffrent – les risques propres à l’électrique.
Pourquoi les assurances automobiles augmentent plus vite pour l’électrique
Pour comprendre les surcoûts appliqués aux véhicules électriques, il faut se placer du point de vue très pragmatique de l’assureur : il ne regarde pas la technologie, mais les statistiques de sinistres, les coûts de réparation et le profil de l’assuré. Sur ces trois axes, l’électrique présente des particularités qui pèsent sur la prime.
1. Un coût de réparation souvent supérieur
La batterie et l’électronique embarquée sont les deux postes qui font grimper la note :
- Batterie haute tension : la batterie représente souvent 30 à 50 % de la valeur du véhicule. En cas de choc important, même si la voiture semble peu abîmée, un doute sur l’intégrité de la batterie peut entraîner son remplacement complet ou la mise en épave du véhicule. Pour l’assureur, une petite collision peut se transformer en sinistre « lourd ».
- Capteurs et systèmes d’aide à la conduite : radars, lidars, caméras, calculateurs… Les voitures électriques récentes sont généralement très équipées. Le moindre choc sur un pare-chocs ou une aile peut impliquer une recalibration coûteuse de ces systèmes, voire leur remplacement.
- Réseau de réparateurs agréés limité : tous les garages ne sont pas formés ni habilités à intervenir sur les systèmes haute tension. Cette rareté renchérit la main-d’œuvre et augmente la durée d’immobilisation du véhicule, ce qui se répercute sur le coût des prêts de véhicule de remplacement pris en charge par les assureurs.
Résultat direct : à sinistre équivalent, le montant moyen des réparations sur une voiture électrique peut être significativement plus élevé que sur une thermique de gamme comparable. C’est un premier facteur structurel dans la hausse des primes.
2. Un risque incendie peu fréquent, mais très redouté
Les incendies de batteries de voitures électriques font la une des médias, donnant l’impression que le risque est omniprésent. Les études disponibles nuancent fortement cette perception :
- les incendies de véhicules électriques ne sont pas plus fréquents, et seraient même souvent moins fréquents que ceux des véhicules thermiques ;
- en revanche, lorsqu’un incendie de batterie se déclenche, il est plus difficile à maîtriser, plus long à éteindre et provoque des dégâts matériels importants (parking, autres véhicules, bâtiment…).
Les assureurs ne s’arrêtent pas au taux d’incidents, ils regardent surtout la gravité potentielle. Un seul incendie dans un parking souterrain peut générer des millions d’euros de dommages. Ces scénarios extrêmes, même rares, sont intégrés dans les modèles de tarification. C’est la logique de l’assurance : quelques sinistres très lourds suffisent à changer l’équilibre technique d’un portefeuille de contrats.
3. Des volatiles de valeurs élevées, surtout dans les premières années
Les véhicules électriques gardent, pour l’instant, une valeur résiduelle relativement élevée, notamment sur certains modèles très demandés. Or, plus la valeur du véhicule est importante, plus le montant à indemniser en cas de vol, de destruction ou de sinistre majeur est élevé. Cela se répercute sur :
- la garantie « dommages tous accidents » ;
- les options de valeur à neuf ou valeur d’achat à 24, 36 ou 48 mois ;
- les garanties vol et vandalisme renforcées.
Cette valeur élevée, combinée aux équipements technologiques, conduit les assureurs à majorer les primes, au moins pendant les premières années de vie du véhicule.
Risques perçus vs risques réels : où sont les fantasmes ?
Il existe un écart important entre la réalité statistique et la perception du risque, autant du côté des conducteurs que des assureurs. L’électrique souffre d’une double pénalité : nouveauté technologique et couverture médiatique anxiogène.
Des conducteurs plutôt prudents… mais pas toujours expérimentés
Le profil type du conducteur de voiture électrique n’est pas celui d’un « conducteur à risque élevé ». On observe souvent :
- un usage domicile-travail relativement stable ;
- une conduite plus souple, incitée par le mode de fonctionnement du moteur électrique (couple immédiat, frein régénératif) ;
- une sensibilité aux coûts d’énergie et à l’optimisation de la consommation, qui pousse à éviter les conduites brusques.
Cependant, d’autres éléments viennent nuancer ce portrait « vertueux » :
- Puissance élevée : de nombreux modèles électriques proposent des accélérations très rapides. Entre des mains peu expérimentées, cette puissance peut augmenter la fréquence ou la gravité des accidents;
- Effet de nouveauté : conduite mono-pédale, gestion de la recharge, autonomie réelle… Le passage au véhicule électrique implique une adaptation. Les premiers mois d’utilisation peuvent générer quelques erreurs d’appréciation (vitesse, distances de freinage, temps de réaction).
Les assureurs sont encore en phase d’apprentissage sur ces profils. Faute d’historique assez long, ils appliquent une prime de « prudence » qui peut pénaliser les bons conducteurs électriques.
Une sinistralité encore mal connue
Les grands assureurs disposent d’années de données sur les véhicules thermiques, tous segments confondus. Pour l’électrique, le recul est bien plus faible et les volumes encore limités. Cela pose deux problèmes :
- il est plus difficile de segmenter finement les risques par modèle, âge du conducteur, typologie de trajet ;
- la moindre série d’incidents coûteux peut sembler statistiquement « lourde » et provoquer une révision de tarifs sur l’ensemble du segment électrique.
En pratique, les primes actuelles traduisent une part de risque d’incertitude. L’assureur paie aujourd’hui pour apprendre le vrai comportement d’un parc électrique en croissance. Tant que les bases de données ne seront pas suffisamment étoffées, cette prime de précaution restera intégrée dans les tarifs.
Les véritables préoccupations des assureurs sur la voiture électrique
Derrière le discours marketing sur la mobilité propre se cachent des préoccupations très concrètes pour les assureurs. Trois sujets ressortent systématiquement dans les échanges techniques : la batterie, la chaîne de réparation et l’évolution rapide des technologies embarquées.
1. La batterie : centre névralgique du risque
La batterie concentre plusieurs types de risques :
- Risque de dommage en cas de choc : un impact au niveau du soubassement ou d’un côté peut endommager des cellules sans que cela soit immédiatement visible. Les diagnostics sont longs, coûteux, et les procédures de sécurité sont lourdes.
- Risque de perte de capacité : même si ce point relève davantage de la garantie constructeur que de l’assurance auto classique, certains contrats d’assurance ou extensions de garantie prennent en charge certains défauts de batterie. Les assureurs doivent alors provisionner ces éventualités.
- Risque lié à la recharge : incidents liés aux bornes, aux prises domestiques inadaptées, aux rallonges non conformes… Les sinistres peuvent impliquer non seulement le véhicule, mais aussi l’habitation ou les parties communes d’un immeuble.
Face à ces incertitudes, certains assureurs appliquent des questionnaires détaillés lors de la souscription (type de recharge, installation professionnelle ou non, parking privé ou public, etc.), qui peuvent influencer le montant de la prime ou l’acceptation du risque.
2. Le maillon faible : la réparation spécialisée
La réparation des voitures électriques exige :
- des formations spécifiques pour la haute tension ;
- du matériel adapté (zones sécurisées, équipements de protection, outillage isolé) ;
- des procédures strictes de mise en sécurité et de diagnostic.
Cette compétence n’est pas encore largement diffusée. Conséquence :
- le véhicule est parfois envoyé loin du lieu de sinistre pour être réparé dans un centre agréé, ce qui allonge les délais ;
- les coûts horaires sont plus élevés que dans un réseau généraliste classique ;
- certaines compagnies préfèrent déclarer le véhicule « économiquement irréparable » plutôt que d’engager une réparation complexe, ce qui augmente l’indemnisation moyenne.
Du point de vue de l’assureur, cette chaîne de réparation fragile est un facteur de surcoût durable, tant que le marché de l’entretien de l’électrique ne se sera pas suffisamment structuré.
3. Technologies embarquées et obsolescence rapide
La voiture électrique est souvent un concentré de technologies :
- écrans tactiles, systèmes multimédias connectés ;
- aides à la conduite (ADAS) de plus en plus avancées ;
- mises à jour logicielles régulières qui modifient parfois le comportement du véhicule.
Pour l’assureur, cela complexifie l’évaluation du risque :
- certaines mises à jour corrigent des défauts de sécurité (ce qui réduit le risque) mais peuvent aussi introduire de nouveaux bugs ;
- la dépendance au logiciel pose la question des pannes « grises », non purement mécaniques, difficiles à imputer clairement à un accident ou à l’usure.
Cette dimension technologique rend le coût de remise en état plus incertain. L’assureur intègre donc une marge de sécurité dans ses calculs.
Comment les conducteurs peuvent limiter la hausse de leur assurance électrique
Le conducteur n’a pas de prise sur les choix industriels des constructeurs ni sur la politique globale des assureurs, mais il dispose de leviers concrets pour réduire ou maîtriser le coût de sa prime.
Choisir un modèle bien « compris » par les assureurs
Tous les véhicules électriques ne sont pas logés à la même enseigne. Certains modèles :
- possèdent un historique de sinistres déjà conséquent, permettant une tarification plus fine ;
- disposent d’un réseau de réparateurs agréés dense, ce qui réduit les coûts de réparation ;
- sont réputés fiables, avec peu de problèmes de batterie ou d’électronique majeure.
Avant d’acheter, il peut être utile de :
- solliciter plusieurs devis d’assurance sur des modèles comparables ;
- examiner les écarts de primes entre marque A et marque B, à garanties identiques ;
- discuter avec un courtier ou un conseiller indépendant pour connaître les modèles perçus comme « à risque » par le marché.
Cette anticipation permet d’éviter les mauvaises surprises, notamment sur des véhicules très récents ou peu diffusés, sur lesquels la prime de précaution des assureurs est maximale.
Adapter les garanties à l’usage réel
Beaucoup d’automobilistes souscrivent leur assurance électrique par réflexe, en reprenant le niveau de couverture de leur ancienne voiture thermique, sans se poser de questions. C’est une erreur fréquente. Il faut repartir de son usage réel :
- Kilométrage annuel : si l’électrique est surtout utilisée en milieu urbain, avec un kilométrage modéré, certaines garanties (assistance renforcée, prêt de véhicule longue durée) peuvent être calibrées à la baisse.
- Conditions de stationnement : un véhicule qui dort dans un garage fermé et sécurisé n’a pas le même risque de vol ou de vandalisme qu’une voiture stationnée en voirie. Cela peut justifier d’ajuster la franchise ou la portée de certaines garanties dommages.
- Conducteurs autorisés : limiter la conduite à un ou deux conducteurs expérimentés peut réduire la prime, au lieu d’une couverture « tous conducteurs » plus coûteuse.
Un bon contrat n’est pas nécessairement le plus cher, mais celui dont chaque garantie correspond à un risque réel, pas à un confort théorique.
Comparer régulièrement les offres, en particulier en période de hausse généralisée
Le marché de l’assurance auto est très concurrentiel, et les compagnies ne réagissent pas toutes de la même façon à l’augmentation des coûts de sinistres. Certaines vont lisser la hausse sur plusieurs années, d’autres ajuster brutalement. Il est donc essentiel de :
- demander des devis à plusieurs assureurs au moins une fois par an ;
- vérifier les montants de franchises, souvent augmentés discrètement lors des renouvellements ;
- analyser les exclusions spécifiques à l’électrique (recharge, batterie, accessoires, borne domestique…).
Pour mieux comprendre le contexte global des révisions tarifaires actuelles, il peut être utile de consulter notre analyse détaillée des hausses d’assurance auto observées en 2024, qui permet de replacer la situation des véhicules électriques dans la tendance générale du marché.
Ce que cette hausse des primes révèle sur l’avenir de l’assurance auto
Au-delà du cas particulier de la voiture électrique, l’évolution des tarifs donne plusieurs indications sur la façon dont les assureurs vont aborder la mobilité dans les prochaines années.
Vers une tarification de plus en plus individualisée
La généralisation des véhicules connectés et des boîtiers télématiques ouvre la voie à une tarification beaucoup plus fine :
- prise en compte du style de conduite réel (accélérations, freinages, temps de conduite de nuit, types de routes empruntées) ;
- ajustement dynamique de la prime en fonction des kilomètres ou de la période d’usage (pay as you drive, pay how you drive) ;
- offres spécifiques aux électriques, intégrant des données sur les cycles de recharge, les trajets moyens, etc.
Cette tendance peut bénéficier aux conducteurs prudents de voitures électriques, souvent avantagés sur les trajets quotidiens. Mais elle interroge aussi sur la protection des données et le consentement réel des assurés.
Un recentrage sur les risques majeurs et les sinistres lourds
Face à l’augmentation du coût moyen par sinistre, les assureurs pourraient progressivement :
- relever les franchises pour les petits dommages (rayures, petits chocs, bris léger) ;
- se recentrer sur les sinistres graves : vol, incendie, choc important, responsabilité civile lourde ;
- laisser davantage à la charge de l’assuré les réparations mineures, via des garanties optionnelles ou des packs payants.
Pour l’électrique, cela signifie que le conducteur devra être particulièrement vigilant sur le niveau de franchise et les exclusions, car le moindre sinistre peut vite coûter cher au-delà de ce que l’assurance prendra en charge.
Une pression accrue sur les constructeurs et les réparateurs
Enfin, la hausse des tarifs d’assurance n’est pas seulement un problème pour les automobilistes ; elle crée aussi une pression sur l’écosystème automobile :
- Constructeurs : ils sont incités à concevoir des véhicules plus faciles à réparer, avec des batteries segmentables, des pièces standardisées et des procédures de diagnostic plus rapides.
- Réseaux de réparation : pour rester compétitifs et attractifs auprès des assureurs, ils devront multiplier les formations et investir dans l’équipement haute tension, afin de réduire les coûts et délais de réparation.
- Pouvoirs publics : si la hausse du coût de l’assurance freine l’adoption de la voiture électrique, cela risque d’entrer en contradiction avec les objectifs de transition énergétique. Des incitations ou des régulations spécifiques pourraient alors émerger.
La hausse actuelle des primes sur les voitures électriques n’est donc pas un simple effet d’aubaine pour les assureurs, mais un révélateur des tensions techniques, économiques et réglementaires qui accompagnent la transformation du parc automobile. Comprendre ces mécanismes permet au conducteur d’agir de manière plus lucide : choisir le bon véhicule, le bon contrat, et ajuster ses garanties à ses besoins réels, plutôt que de subir passivement la narrative d’un marché encore en pleine construction.

